"Une volonté sourde, vieille de plusieurs semaines, m’a guidé un dimanche matin vers le cimetière. Depuis très jeune j’aime ces maisons de repos des âmes. Sur le chemin, un vide intérieur est entré en conflit avec quelques questions sur le but de cette démarche. Je n’ai pas réellement d’attente quant aux réponses que je vais obtenir, j’écoute juste un besoin inconnu. Je suis rentré dans un rite évolutif au cours de ces quelques heures. A l’entrée, deux femmes m’ont parlé, tendres, bienveillantes. Le fond compte peu, je suis ému par la forme. Une discussion qui existe dans nos rêves indépendants, sans construction, sans banalités. Elles sortent du cimetière, j’y entre, elles sont des femmes âgées d'origine maghrébine, je suis un jeune homme caucasien et agnostique. Nous sommes ensemble, égaux face au deuil et à la mort. Nous sommes l’humanité dans son partage le plus simple. Je pénètre dans ce lieu gigantesque. Je dis à ma voix intérieure : « tu veux nous faire venir ici, maintenant prends les rênes ! » Je vis entièrement chaque émotion, en laissant mes mouvements être contrôlés par un ange. Je m’occupe de photographier, de ressentir chaque seconde, une voix s’exprime du plus profond de mon corps. L’empathie est intense à l’approche de certains tombeaux. Les griffes du temps blessent mon sternum et font entrer des milliers de voix. Certaines souffrent, d’autres sont dans l’incompréhension, mais la plupart dégagent un amour rond, chaud, confortable. Il faut s’engouffrer dans leurs paroles, en évitant de se brûler. S’abreuver à la profonde source du passé, faire vibrer les messages de nos morts.
Capter les âmes qui tournoient autour des sculptures et qui n’arrivent pas à s’y accrocher. Ou alors pour quelques secondes. Et par chance les immortaliser. Ces figures de pierres, représentations tourmentées de l’ignorance des vivants face à la disparition. Je pense aux gens proches qui sont partis. Le ventre et la poitrine engourdis. Une douleur qui remonte jusque dans les yeux. S’ensuit un soulagement, une joie et des remerciements à eux. Tant personnellement que dans la création de ces photographies, qui existent parce qu’ils ont été. J’espère, dans la retranscription de ces protecteurs, que l’amour sera évident. Que dans ces clichés nos ancêtres, nos parents, nos enfants, nos amis disparus, entrent en communication avec nous qui vivons. Et que dans leurs murmures ils nous apportent la force, le courage et l’amour de pouvoir être qui nous sommes. Eternelle Terre, apprenons à rencontrer tes échos, apprenons à t’aimer car tu es notre Mère. Prenons le temps de cultiver le silence et la solitude afin de rencontrer tes messages les plus vibrants. Pour être unis à ton rythme comme l’enfant dans la mère. Je conclus en citant avec admiration les sublimes vers d’un de tes enfants prodigues, Guillaume Apollinaire : « Vienne la nuit sonne l’heure Les jours s’en vont je demeure »
Arthur Astier - Mars 2020